Derrière la promesse d’un produit écolo et pas cher, une réalité plus amère


Un GPS qui ne fonctionne que de temps en temps, une batterie qui se décharge trop vite, un écran qui n’est pas totalement tactile… Qui n’a pas, soi-même ou dans son entourage, eu une mauvaise expérience avec un smartphone reconditionné ? Bien que les bienfaits du reconditionné pour l’environnement et le porte-monnaie ne sont plus à prouver, et que la vente de ces appareils remis en état de fonctionnement représente désormais un smartphone sur cinq, le vent serait en train de tourner. Les problèmes de qualité commenceraient à avoir des impacts sur les choix d’achats des Français. 

« En 2023, il y a aurait eu moins de ventes de smartphones reconditionnés qu’en 2022, m’a expliqué la semaine dernière GFK (une société d’analyses qui étudie régulièrement le marché, NDLR). Ce n’est pas normal. On devrait avoir un marché en croissance, avec des ventes du neuf qui continuent de baisser et des ventes de reconditionnés qui continuent de croître », nous explique David Mignot, à la tête de YesYes, un reconditionneur normand fondé en 2018.  Pour celui qui a travaillé chez Sony pendant près de 17 ans, une partie de l’explication se trouve dans la (mauvaise) qualité des smartphones reconditionnés que l’on trouve sur le marché. 

Et pour cause, pendant longtemps, acheter un reconditionné relevait de la roulette russe. Parfois, la chance était au rendez-vous : le smartphone fonctionnait bien. Mais parfois seulement. Ce constat serait toujours valable aujourd’hui, dans certains cas. « Le client français qui va sur une marketplace, quelle qu’elle soit, peut tomber sur un produit qui vient de n’importe où, et qui a été reconditionné, pas forcément de manière approfondie », admet Jean Thibeau, le directeur commercial de Reborn, un autre reconditionneur français dont les usines se trouvent près de Nice. Sur certaines plateformes de e-commerce, « des vendeurs pratiqueraient un reconditionnement au rabais », nous expliquent séparément plusieurs dirigeants de sociétés françaises de reconditionnement. 

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« Le drame, c’est que chacun fait ce qu’il veut »

Car en la matière, « il n’y a pas de réglementation ». Les entreprises utilisent en règle générale des grades A, B, C allant des microrayures à des défauts plus importants. Mais les catégories définies dans chaque grade sont laissées au bon vouloir de chaque société. Et « le drame, c’est que chacun fait ce qu’il veut », regrette David Mignot de YesYes. Un décret de février 2022 est bien venu interdire aux entreprises d’utiliser le terme « comme neuf », en distinguant l’occasion (un produit déjà mis sur le marché) du reconditionné (un produit dont les fonctionnalités ont été réparées et vérifiées). Une enquête de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), le gendarme de la consommation, a aussi taclé, la même année, des sites Web multipliant « les mentions inacceptables, les informations inexactes, absentes ou parfois même trompeuses ». C’est « un bon début, mais il faudrait vraiment aller plus loin », plaide le co-fondateur de YesYes. 

Car dans le décret, rien n’est dit sur les tests de fonctionnalité qui doivent être réalisés. Rien n’impose un certain niveau de réparation, une capacité minimale de batterie, ou une qualité minimale des pièces détachées utilisées. Et comme tout se passe à l’intérieur, le consommateur peut s’apercevoir des défauts de la réparation plusieurs mois après son achat. Aujourd’hui, « vous pouvez réaliser du reconditionné qui vient de l’autre bout du monde, fait n’importe comment avec des pièces détachées de très faible qualité, avec un smartphone qui va durer trois mois. Vous n’avez rien fait de bon pour la planète. Par contre, vous avez dégoûté un consommateur qui voulait passer au reconditionné », résume David Mignot.

« Ce n’est pas la carrosserie qu’il faut regarder, mais le moteur »

Lorsqu’on achète un smartphone reconditionné, on peut avoir l’impression, en l’observant sous toutes ses coutures, qu’il n’a aucun défaut, esthétiquement. « Sauf que, en fait, c’est comme une voiture. Ce n’est pas la carrosserie qu’il faut regarder, c’est le moteur qui est à l’intérieur », ajoute le dirigeant, exemples à l’appui.

Lorsqu’un technicien ouvre un téléphone en deux pour changer la batterie ou l’écran, poursuit-il, il tombera sur un joint d’étanchéité. « Chez YesYes, on le remet à chaque fois, évidemment. Cela prend du temps, et cela a un coût. Pas un coût énorme, c’est quelques dizaines de centimes voire quelques euros pour Samsung. Si je ne le remets pas, vous ne le verrez jamais. Et vous pourrez dire que c’est super bien reconditionné », résume le chef d’entreprise.

Sauf que, au fil du temps, la poussière va entrer dans l’habitacle, et cela va altérer le fonctionnement du téléphone. Même topo pour les blindages qui protègent les soudures, les vis à l’intérieur, et la qualité des « pièces compatibles » avec les produits Apple, qui représentent une grande part de marché des smartphones reconditionnés. 

« Il y a le compatible qui marche moyennement bien, le compatible qui marche très bien et celui qui est pourri », poursuit le passionné de smartphone. « Entre le pourri et l’excellent, en prix d’achat pour nous, reconditionneur, c’est : fois deux. Donc, un écran de qualité qui vaut 70 euros, vous allez trouver le même à 35 euros, mais le moins cher sera un peu plus capricieux sur le tactile et au bout de quelques mois, il pourra ne plus du tout marcher », ajoute-t-il. « Or, rien oblige un reconditionneur à avoir un écran d’une qualité supérieure ». Ces différences de qualité et de prix sont valables pour toutes les pièces détachées comme les écrans, les batteries, les appareils photos, qui sont régulièrement remplacées pendant un processus de reconditionnement.

C’est simple : la qualité d’un smartphone reconditionné dépend de son usine de reconditionnement, résume Jean-Christophe Estoudre, à la tête de Smaaart (Econocom Factory), un reconditionneur dont les ateliers se situent près de Montpellier.

Reconditionneurs versus places de marché

Dans le monde du reconditionné, il existe deux types d’acteurs. D’un côté, les reconditionneurs qui s’occupent eux-même du reconditionnement, et qui prônent la transparence, la traçabilité et la qualité, avec un sourcing majoritairement ou en partie français ou européen, des étapes de contrôle faits par des logiciels professionnels et des techniciens, et des réparations dans leurs ateliers. Dans cette catégorie, comptez les français Smaart, Largo, YesYes, Recommerce, ou Reborn. Ces sociétés vendent directement leurs smartphones en ligne et via des boutiques physiques. Certaines passent aussi par des distributeurs ou des places de marché.

De l’autre, les plateformes comme Back Market, CDiscount, FnacDarty ou Amazon sont des intermédiaires. Elles mettent en relation des clients (comme vous et moi) et des vendeurs français, européens ou étrangers. Parmi elles, Back Market raflerait près de la moitié des ventes du secteur. Or, « face à eux, on ne peut pas lutter », déplore Jean-Christophe Estoudre, à la tête de Smaaart.

Reconditionneurs et agriculteurs français, même combat

« La problématique est la même que celle des agriculteurs », renchérit Benoît Varin, co-fondateur de Recommerce, qui reconditionne les smartphones depuis 2009. « On est sur un cadre de libre-échange à tout va sans contrôle ». Et les acteurs qui raflent la mise, et avec lesquels nous sommes en compétition, ne respectent pas la règlementation, ajoute le dirigeant.

Dans leur viseur, Back Market, la plateforme de reconditionnement la plus connue dans l’Hexagone. Contactée, la société n’a pas répondu favorablement à notre demande d’entretien. Mais elle nous précise par écrit avoir mis en place « un processus de sélection stricte (des vendeurs) (…) avec seulement 1 marchand sur 3 accepté sur la plateforme ». Tout candidat doit  « s’engager à respecter les standards de la charte qualité Back Market, comprenant 25 points de contrôle ». En parallèle, « le lab Back Market à Bordeaux » effectue « une centaine de commandes mystères par mois pour contrôler les produits vendus sur la plateforme ». 

Des arguments balayés d’une main par David Mignot, le patron de YesYes. « Back Market, c’est 1 700 vendeurs qui sont partout dans le monde, c’est 1 700 façons de reconditionner sans que l’entreprise ait le moindre contrôle sur les usines, les cahiers des charges sur les pièces détachées, sur la manière de réparer etc », rapporte le spécialiste de smartphones, qui explique bien connaître la plateforme. Les produits de YesYes étaient vendus sur le site d’e-commerce, avant que son entreprise ne choisisse de les retirer, ajoute-t-il.

Juridiquement, les places de marché sont des intermédiaires : elles ne sont pas responsables des offres de smartphones proposées sur leur site Web… Et elles ne sont pas non plus responsables du respect de la réglementation par les vendeurs présents sur la plateforme. Or, du fait de ce statut d’hébergeur, Back Market « permet à des reconditionneurs qui sont partout dans le monde d’accéder à un marché français en toute impunité, tout en ne respectant rien, ni la qualité ni la réglementation », s’insurge Benoît Varin, co-fondateur de Recommerce, aussi aux rênes de RCube.org, la Fédération du Réemploi et de la Réparation.

Une fraude massive à la TVA

Cela n’est pas sans conséquence pour le consommateur ou pour le reconditionneur français, poursuit-il. Côté consommateur, si vous avez un problème avec un smartphone reconditionné, vous devez vous adresser au vendeur en question, pas à la place de marché. Or sur ces plateformes, on a vu « des sociétés venant d’Asie utiliser des boîtes aux lettres fantômes en France et en Europe pour se faire passer pour une entreprise européenne, avant de fermer pour ne pas avoir à assurer un SAV derrière », détaillent David Mignot et Benoît Varin. « Et alors bon courage pour faire jouer votre garantie », souffle Jean-Christophe Estoudre, aux rênes de Smaaart.

Côté reconditionneur français, c’est une « concurrence déloyale ». « Il est de notoriété publique que certains vendeurs des plateformes ne paient pas la TVA », tacle David Mignot.  Une entreprise qui vend des smartphones reconditionnés à des clients français doit normalement payer la TVA, mais aussi la redevance copie privée, même si elle est basée à l’étranger … Dans les faits, la fraude à la TVA serait massive sur les sites de e-commerce, montrait un rapport de l’Inspection générale des finances de 2019, rapporté par Les Échos. Et si la réforme de la directive européenne sur la TVA a rendu les combines plus difficiles, les fraudes seraient encore présentes, soulignent plusieurs dirigeants de société de reconditionnement français. En s’affranchissant d’une TVA qui représente 20% du coût total d’un produit et d’autres taxes, certains acteurs de « e-commerce peuvent vendre des produits en reconditionné 30 % moins cher, avec un reconditionnement au rabais et des pièces qui ne durent pas. Et tout le monde s’en fiche », s’indigne Benoît Varin.

Dans un secteur où les marges sont très faibles, « les acteurs français sont, au final, dans une situation économique très difficile », poursuit le dirigeant. Car pendant que ces derniers « prennent le temps de chercher des produits, de les reconditionner, d’acheter des pièces détachées de qualité, de payer des salariés français, et de les former », d’autres échappent aux taxes, choisissent des matières premières de moindre qualité, et vendent leurs smartphones bien moins chers, ajoute-t-il.

« Un vrai risque que le marché disparaisse »

Pour David Mignot, le co-fondateur de YesYes, « il y a un vrai risque que ce marché disparaisse, ou en tout cas, qu’il ne croisse pas autant qu’on le souhaite, avec un Back Market qui tire les prix vers le bas. En sachant que cette licorne, qui ne fonctionne que par levée de fonds, perturbe un marché qui essaie d’être rentable et vertueux. Au risque de nous faire couler, tout en sachant qu’eux, à la fin, c’est potentiellement ce qui va leur arriver aussi », analyse-t-il.

Pourtant, il faudrait donner au moins une chance au marché de se développer, plaident ces dirigeants. Parmi les solutions envisagées : un label officiel, mis en place par l’Etat, qui permettrait aux consommateurs d’apprécier d’un seul coup d’oeil la qualité du reconditionnement d’un smartphone. RCube.org, la Fédération du Réemploi et de la Réparation a déjà mis en place un tel label (« RecQ » pour Reconditionnement de Qualité) « pour ceux qui acceptent d’ouvrir leur usine, et qui jouent le jeu de l’audit et du contrôle, effectué par un organisme de certification Dekra ».

Et si certains l’utilisent aujourd’hui (comme Orange, Largo ou Smaart), d’autres estiment que leur process et leurs exigences vont bien au-delà (à l’image de YesYes). Pour Benoît Varin, à la tête de l’association, la balle est de toute façon dans le camp de l’Etat. Avec RecQ, « le travail collaboratif a eu lieu. Mais désormais, les acteurs du reconditionné sont en attente d’un positionnement de l’État pour que ce dernier apporte un projet de label officiel ».

Les reconditionneurs demandent aussi des contrôles et des sanctions envers les vendeurs qui ne respectent pas la règlementation, et une véritable responsabilisation des plateformes. Si « Back Market voulait vraiment soutenir les reconditionneurs français, la plateforme pourrait exiger que les revendeurs montrent un certificat de conformité avec l’État français, démontrant qu’ils ont rempli leurs obligations sociales et fiscales », avance Benoît Varin. En attendant d’éventuelles actions, « tout l’enjeu pour nous, actuellement, c’est de tenir », résume David Mignot. « Tenir un maximum en se disant, à un moment, ce marché finira par se réglementer ».

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Catégorie article Politique

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